La stupeur est sans pareille pour moi, je pense bien pour les acteurs du 7e art burkinabè aussi, c’était ce dimanche 18 février 2018. Telle une claque, j’ai reçu la nouvelle dans la matinée. Le maestro n’est plus ! Idrissa Ouédraogo a été terrassé, au petit matin, par un AVC (accident vasculaire cérébral). Une sensation confuse m’envahit. Et je l’entends me dire « Annick, je vous rappelle car je suis occupé présentement ».
Non, il ne s’agit pas d’un moment d’onirisme qui se dissipera quand j’ouvrirai les yeux. Je me sens obligée d’appeler l’auteur du sms qui m’a annoncé la fatidique nouvelle. « Bonjour grand frère, dis-je, désolée pour l’heure, mais c’est quoi cette nouvelle ? » J’ai la confirmation, l’homme s’en est allé ! Ça se bouscule dans ma tête et des images me reviennent.
L’une d’elles est celle de « Yaaba », héroïne de son long métrage éponyme réalisé en 1989. Une vieille femme, incarnée par Fatimata Sanga, à qui le cinéaste avait su faire porter avec une justesse et une dignité certaines, le sort de toutes ces femmes que les communautés, sous nos cieux, indexent, chassent, voire font passer par les flammes pour cause de sorcellerie supposée. J’avais pleuré quand j’ai vu, enfant, pour la première fois ce film. Je n’avais, à l’époque, aucune idée de son auteur mais une chose est sure, j’ai revu, par la suite, le film au moins une dizaine de fois grâce à une copie sur cassette VHS que ma sœur et son époux avaient réussi à avoir par le truchement d’un de leurs amis. Indubitablement, « Yaaba » ne m’avait pas laissé indifférente. J’avais tellement été touchée que, de nombreuses années plu tard, (j’en avais que quatorze alors), je me suis surprise en train d’écrire une histoire (une sorte de « nouvelle », je n’en sais rien, dont le brouillon doit toujours se trouver dans mes vieux cartons) dans laquelle je racontais l’histoire d’un quartier de Ouagadougou où les habitants ont entrepris de se débarrasser des vieilles sorcières qui « mangeaient leurs enfants ». Après avoir commis l’irréparable sur plusieurs d’entre elles, les habitants apprennent des services sanitaires que la ville est frappée d’une épidémie de méningite sans précédent.
Quelques années plu tard, j’ai la chance de rencontrer, puis de croiser plusieurs autres fois, Monsieur Ouédraogo. Certes furtivement, mais c’était déjà le top niveau pour moi d’autant plus que je découvrais, à ce moment-là, la dimension de l’Homme. Nul besoin d’évoquer ici son aura qu’il avait réussi à distiller, non sans génie, à travers ses réalisations et qui lui ont valu une grande reconnaissance internationale -hélas pas à sa hauteur dans son Faso natal ! Serait-ce pour dire que «Nul n’est prophète chez soi ?»
C’est donc avec une excitation retenue que j’accepte, en septembre 2017, d’essayer de dresser son portait pour le compte du numéro spécial de votre magazine Avant-Première. Le prétexte était la tenue de la 2e édition de Ouaga Film Lab et Ouaga Producer Lab dont il était le parrain. Rapidement, je tente de prendre contact avec lui via le téléphone. Mais l’exercice se révèle plus difficile que je l’imaginais. Je l’appelle maintes fois, mais aucune réponse. Il doit être occupé, me dis-je. Je lui fais un sms. Puis un soir, j’achève le tournage d’un reportage et jette un coup d’œil sur mon téléphone, alors en mode silencieux, je découvre deux appels manqués de lui.
Je suis déçue ; je rappelle sur le champ, et ça décroche ! Au bout du fil, j’entends : « Annick, je vous rappelle car je suis occupé présentement », « Ah, désolée de déranger, j’attends donc votre appel, merci ! », je réponds. Le lendemain toute la matinée aucune nouvelle et vers midi, je décide de le rappeler car le dead-line n’est plus loin et il me fallait un certain temps pour sortir un papier à la hauteur de son sujet et, surtout, parce que le jour d’un voyage prévu de longue date approchait à grands pas pour moi. Jusqu’au soir, toujours rien ! Je décide, alors, de passer par des intermédiaires, n’hésitant pas à faire feu de tout bois.
« La récompense est au bout de l’effort » dit-on ! Oui, seulement, si elle arrive au bon moment. En effet, quand le maestro trouve, -enfin !- du temps pour m’accorder l’entretien, je suis déjà sur la route du voyage. Ma déception est grande. J’ai le sentiment d’être passé à côté de quelque chose d’essentiel. Mais je suis réconfortée par qui, vous ne devinerez jamais ! El Maestro him self ! Bon pas directement, mais oui, il l’a fait par la Directrice de Publication de Avant-Première. « Madame, je tente de joindre en vain votre journaliste pour que nous fassions l’interview. J’espère qu’elle n’est pas fâchée ! Dites-lui que je suis disponible. » Lui dit-il. Quand elle me le rapporta, j’ai juste dit « Waouh, il a fait ça ? ». J’en étais émue. Je me suis dit « quel savoir vivre, quelle humilité ! »
Je ne ferai jamais cet entretien avec lui, mais je suis convaincue d’une chose, son attitude durant cette tentative de prise de contact est, pour moi, un encouragement. Et je n’en dirai pas plus parce qu’on n’a pas besoin de grand-chose pour avancer, sinon de la motivation. J’ajouterai simplement que, à chaque fois que je me souviendrai de Monsieur Idrissa Ouédraogo, je me dirai que le rêve est permis pour tous. Rêver de réaliser des choses qui semblent impossibles, incompréhensibles de la part de ses contemporains, peut-être. En disant cela, je pense à son film Kini et Adams qu’il a « osé » tourner dans cette contrée lointaine, hors de son environnement qu’il maîtrisait si bien. Une folie pour certains à l’époque ! Qu’importe, c’est ce qui fait la grandeur de l’homme. Cette part de folie ! Le tout est de s’accorder le droit et d’assumer le devoir de la laisser s’exprimer. Lui, il l’a fait !
Chapeau l’artiste !
Annick Rachel KANDOLO