La région du Nord compte 04 salles de cinéma dont une seule fonctionne. Il s’agit du ciné Palace de Ouayigouya. Cette salle privée rencontre, cependant, beaucoup de difficultés. Elle est même menacée de fermeture pour diverses raisons.
Situé sur l’avenue de Mopti, côté ouest du grand marché de Ouahigouya, le ciné Palace est un édifice à l’aspect peu attrayant. La plaque bleue, censée le révéler aux passants, se perd sur une façade de couleur ocre complètement défraîchie. En cette journée du 23 janvier, les portes sont closes. A l’entrée, une feuille de contre-plaqué fait office de panneau d’affichage. Non loin de là, un vendeur de marchandises diverses somnole derrière son étal grillagé. « Bonjour, boutiquier ! Pouvez-vous nous donner le contact du gérant de la salle de ciné ? » Demandons-nous. Sorti de sa torpeur, il fait un geste de la main, nous orientant vers le tableau d’affichage et nous fait découvrir un numéro téléphonique. Le contact établi, notre interlocuteur ne tarde pas à réagir. En fait il n’est jamais loin de son lieu de travail. Oumarou Barry, c’est son nom, est aguets, de jour comme de nuit. Il épie les quelques clients qui viennent jeter un coup d’œil sur le film à l’affiche. Explique-t-il au téléphone avant de nous donner rendez-vous. Il promet même de venir avec l’un des témoins de l’histoire du cinéma à Ouahigouya.
A l’heure prévue pour la rencontre, nos deux interlocuteurs sont là. Oumarou Barry est accompagné de Boureima Ouédraogo, machiniste de la salle depuis ses débuts.
Oumarou BARRY, gérant du Ciné Palace de Ouahigouya
« Nous n’avons eu que 04 entrées sur 1800 places la semaine dernière », lance, d’entrée de jeu, avec un air triste, M. Barry. Depuis 2004, l’homme, âgé de 54 ans, gère le ciné Palace. Mais, il se montre déjà nostalgique de ses deux premières de gérance. En effet le nombre de cinéphiles oscillait entre 300 et 400 par semaine, avec des records de 600 quand un film africain était projeté. Il fait toute de suite remarquer la baisse significative de sa clientèle. Depuis 2006, Oumarou Barry se bat pour ne pas fermer la salle. Et pour lui, c’est une bataille qu’il doit gagner vaille que vaille. Cela éviterait à la capitale de la région du Nord d’être une ville sans salle de ciné. Ouahigouya en comptait deux mais l’autre, le ciné Yadéga, situé à quelques mètres de là, a été revendu et démoli par le nouveau repreneur.
Le gérant ouvre finalement la porte de la salle. Un bel espace de spectacle avec une grande scène. Son état montre, néanmoins, la désolation de cette maison du 7e art. De la poussière sur les chaises et des murs délabrés témoignent du vieillissement de la salle. Le bâtiment, construit par un français, existe depuis plus de 50 ans.
Boureima OUEDRAOGO, Machiniste de Ciné Palace
Boureima Ouédrago s’invite dans la discussion. Avec un brin de mélancolie, il raconte : « A l’époque, le ticket d’entrée coutait 40 francs pour les 2 séances. Les films que nous suivions cadraient avec la réalité du moment. Il n’y avait pas de fiction, tout était naturel. Les thèmes étaient vraiment pertinents » Il ajoute qu’à cette époque, les salles refusaient du monde.
Plus loin de la salle, nous rencontrons un cinéphile des années 70. Il raconte cette anecdote : « A notre temps, les tickets coutaient 15f et après chaque projection, on avait droit à une boite d’allumette qu’on remettait à nos mamans et c’était une forme de motivation pour nous ».
Le cinéma n’attire plus grand monde à Ouahigouya. Et la principale raison, selon O. Barry, est la piraterie croissante. Pour lui, les cinéphiles préfèrent télécharger les films via internet grâce aux nouveaux appareils ou acheter des disques piratés à moindre coût. Le gérant évoque d’autres éléments. Les jeunes qui préfèrent, davantage, les loisirs dans les maquis ou suivre un film à la maison. A ceux-ci s’ajoute l’existence des vidéoclubs qui « tuent le cinéma ».
Redynamiser le cinéma dans le Yatenga
Boureima Ouédraogo prône un retour aux films liés aux réalités burkinabè :« Je prends l’exemple des films de feu Idrissa Ouédraogo, Yaaba et la colère des dieux, qui ont rempli la salle pendant plus de deux semaines parce qu’ils répondaient aux attentes du public. »
Pour lui et son machiniste, l’Etat a contribué à mettre à mal le cinéma, notamment avec la privatisation de la Société Nationale du Cinéma Burkinabè (SONACIB). Conséquence, toutes les salles se sont vidées. Le matériel est inadapté parce que des cassettes venues de l’extérieur sont souvent de mauvaises qualités et à la projection, les cassettes rayées déçoivent les cinéphiles.
Pour la promotion des films au programme, M Barry a l’ambition de faire de la publicité sur les radios de la ville et aussi rénover les lieux. Mais où trouver l’argent ? C’est l’équation à résoudre pour le gérant. Il pense aussi à renouveler les films à l’affiche en mettant l’accent sur ceux africains. « Les films hindous et karaté étaient jadis prisés, mais ce n’est plus le cas maintenant. » affirme-t-il.
Au nombre des initiatives visant à faire revivre le cinéma à Ouahigouya, il y a celle d’une famille espagnole à travers l’institut Olvido. Ce centre culturel, construit en 2011, est arrivé avec la haute technologie. Il était le seul à projeter le cinéma en trois dimensions au Burkina ; faisant, ainsi, la fierté de la ville dans le domaine du cinéma. Des campagnes de sensibilisations se faisaient à travers la projection de films documentaires. L’institut a même organisé des éditions du FESPACO à Ouahigouya. Il faisait venir des acteurs du cinéma tels Eugène BAYALA, connu sous le nom de Oyou, et Joseph TABSOBA alias Chocho. Malheureusement, lui aussi a été victime de la crise économique qui frappe le monde du septième art. En 2018, après avoir vendu son siège (à sa place, se dresse un bâtiment de haut standing), Olvido a réduit ses services au strict minimum, voire changé de domaine d’intervention. Il travaille dans l’humanitaire actuellement.
Lorsqu’on parle du FESPACO, M. Barry reste sceptique. N’ayant aucun partenariat avec le festival, sa salle ne reçoit les films projetés pendant la biennale du cinéma que longtemps après. Ce grand rendez-vous n’influence, en aucun cas, ses activités cinématographiques.
Laetitia BAYALA